JOULIK
TERRES FERTILES ET SANS FRONTIÈRES POUR LES MUSIQUES AVENTURIÈRES DE JOULIK
Depuis une dizaine d’années, le trio Joulik dessine ses carnets de voyages sonores comme une ode aux Ailleurs, aux langues mêlées et aux paysages imprégnés de parfum de liberté. L’album précédent, Envol, traduisait un désir de déployer ses ailes aux vents chauds des courants musicaux planétaires. Aérien.
Plus tribal et incarné, le nouvel opus, Racines, prolonge ce cheminement en l’ancrant dans un territoire imaginaire, une vaste contrée sans frontière où la boussole s’affole : on y vogue de sons en émotions, du pourtour Méditerranéen à l’Océan Indien, des terres celtiques en rives balkaniques, d’embruns brésiliens en échos subsahariens.
12 titres pour parcourir un pays fantasmé, révélé au fil des voix et des cordes enlacées que Joulik s’amuse à essaimer sous un arbre à palabres. Enraciné au cœur du monde...
RACINES MÊLÉES. Aux origines, les racines croisées de Mélissa Zantman à l’accordéon, aux percussions, kaval et mandole, de Claire Menguy au violoncelle et de Robin Celse aux guitares, mandole, percussions et looper. Pour sertir cet instrumentarium ouvert aux explorations, le trio s’est fait spécialiste du tressage de voix sous toutes ses formes: chorales, harmoniques, bruitistes, solistes ou polyphoniques. Ici, la créativité vocale est infiniment fertile.
Les timbres de voix s’y répondent et s’enchevêtrent de manière féconde pour tendre un fil d’Ariane entre les titres de l’album. Une nuée de rhizomes qui puisent leur sève dans une foule de rythmes populaires : du battement maloya, de la samba nordestine, des traditionnels grecs, serbes ou hongrois voire des chants italiens et andins. Ces musiques qui ravissent les corps et remplissent les cœurs se tissent comme une évidence chez Joulik. Avec douceur, ferveur et reliance.
Car le trio se plait à lier, à lancer des ponts entre les esthétiques et les langues, à fomenter des croisements culturels et des fraternités musicales. Sublimant à l’envi la question des racines.
Sur Moldvaï, c’est un thème populaire hongrois qui évoque l’errance d’un lys en quête d’une terre où s’enraciner. Dans mon Kér, le chant de l’exil résonne en créole réunionnais. Au cœur de Nos vies, ce sont les racines mêlées qui interrogent les identités... Ces racines, c’est à la fois celles d’où l’on vient et celles d’où l’on part. Et de cet entre-deux, Joulik fait un espace d’espoir.
TRONC COMMUN. Pour imaginer ces correspondances et de si belles échappées, il faut une matrice solide. Racines repose sur ce savant dosage de compositions
originales et de musiques traditionnelles réinventées. Cette propension à moderniser et recréer à partir de répertoires populaires constitue le tronc commun de l’album, le terreau propice aux métissages les plus inédits : un chant de la Cordillère des Andes, Papel de Plata, se métamorphose ainsi au contact d’un folk gaélique aux cordes irlandaises et aux réminiscences indiennes.
Sur Opsa, c’est le mandole kabyle qui se transforme en cymbalum tsigane pour embarquer un chant serbe dans une ronde festive et jubilatoire. Pour le traditionnel brésilien Brilhantina – clin d’oeil à Renata Rosa -, la samba prend un nouvel éclat, sautillant au staccato d’un violoncelle facétieux et aux soubresauts de voix pétillantes. Quant au chant grec Ta Niata, il est revisité en interlude poétique au lyrisme teinté de nostalgie.
A l’inverse d’une simple mosaïque, Joulik parvient à percer l’essence universelle des musiques populaires pour les faire danser ensemble. En les croisant dans une concordance de groove et d’arrangements qui confine à l’orfèvrerie. Pour illustration, les proverbes wolofs de Gannaw Ay prennent écrin dans un thème malien aux rythmiques enjaillées et finissent par scintiller en bouquet de voix harmonisées. Assemblées, rassemblées pour façonner du commun.
LA PROMESSE DES BOURGEONS. Offert au temps, au vent et aux éléments, Racines croît et déploie ses ramifications au fil de 12 titres attirés par la lumière, gorgés d’une énergie solaire. L’album laisse boutonner ses chansons comme autant de bourgeons et de floraisons en devenir. Une promesse exprimée dans une brassée d’idiomes du monde entier, et même en langues imaginaires, comme sur le très enlevé Tamani ou le chant intérieur De Erende, délicate bulle d’oxygène prolongée de la caresse, Algua, posée telle une perle de rosée.
Tous les reliefs de Racines sont dès lors concentrés : l’amour toujours, l’énergie, la nostalgie, les parcours de vie, le partage et la fête, intense, jusqu’à la danse. Joulik fait grandir ces sentiments à la racine en célébrant le vivant. Tout simplement.
La Vie Vente peut révéler de manière intime un nouveau monde qui nait et cette enfance qui prend place, cette semence à chérir et un futur à écrire... Ici se joue le cycle de la vie. Car derrière les entrelacs de voix et son maillage percussif, Joulik cultive en profondeur ses Racines dans tous les sens du terme : de l’ancrage pour s’ouvrir au monde aux héritages dont on s’inspire et ceux qu’on lègue à l’avenir.
Des graines jusqu’aux racines et des racines jusqu’aux bourgeons, le trio perpétue ce don pour la transmission en sublimant les musiques traditionnelles et des compositions qui renouvellent sans cesse, dans l’allégresse, la notion des origines.
Ce n’est sans doute pas un hasard si ce quatrième album s’ouvre sur un saisissant lamento vocal, une quête autant qu’une supplique à l’enracinement, et qu’il finit en légèreté avec la voix guillerette d’un bébé lançant, en toute innocence, l’expression serbe : « Opsa ». Et un mot : la joie !
Olivier Rey